CHAPITRE 21
Gareth a l'air tranquille, il a une
assiette d'os rongés à ses pieds, trois meufs lézardes assises sur
les accoudoirs du trône et une longue pipe en bois dans les mains.
Sa bite touche la pierre froide de la chaise : « Bon...
Bon... Comment vous appelez vous ?
- Je suis Mil Abb et voici Sal Mocco,
il ne parle pas la langue, je peux vous servir de traductrice.
- Tu as de la chance qu'elle soit là,
hein, gamin ?, me lance Gareth, je lui réponds par une moue
sceptique, il reprend, Donc... Donc... Vous êtes ceux qui ont
provoqué le désastre au nord ?
- Oui, commence Mil avant que je lui
fasse les gros yeux.
- Mil, t'es sûre que...
- Oui, continue t-elle, nous en sommes
désolés, le bouclier Valmérien a endommagé notre vaisseau et nous
nous sommes écrasés.
- Le dernier péché du chercheur de
paix ne se passe pas toujours bien. Ce n'est pas un voyage comme les
autres.
- Oui, votre altesse. », comme
elle y va... « Altesse ».... Sacrée diplomate. Je
commence à me rouler un joint et Gareth m'interpelle : « Mais
qu'est-ce que c'est que ça, gamin ?
- Dis lui que c'est de la weed et que
ça ne fait aucun effet au gros tas de Valmérien.
- Il dit que c'est une plante de chez
lui et que ça un effet spécial sur son espèce.
- Je veux essayer, je veux essayer !
- Dis lui que ça sert à rien.
- Sal ! Donne lui ce qu'il demande
tout de suite. », je soupire mais c'est peine perdue... Le gros
me tend sa pipe avec un gros sourire sur son museau porcin. Je mets
un peu de weed dans le foyer de sa pipe : « Un peu plus,
gamin. », il commence à drôlement m'emmerder mais je
m'exécute sous le regard pressant de la gsène. Un des larbins vient
avec une petite torche rose pour allumer la pipe du patron puis sous
ses ordres, il fait la même chose avec mon pétard. Je tire une
profonde latte : « Bon... Bon... Vous vous êtes
écrasés... Que veniez-vous faire ici ?
- Nous cherchions un organisme, votre
altesse.
- C'est bien ce que je craignais...
C'est malheureux.
- Pardon, votre altesse ?
- Écoutez donc, nous faisons partie de
ce que vous appelez les sociétés libres, nous sommes hostiles à
toute forme d'affronts envers les Déesses. Ce que vous faites est
pour nous un péché suprême. Aussi terrible que ce que font les
Valmériens sur nos terres sacrées. Peu importe vos croyances
politiques, nous ne sommes pas intéressés par les fantaisies
malsaines de sociétés pécheresses.
- Dis-lui que la forêt dans laquelle
il vit ne serait pas là si un gsène boutonneux n'avait pas péché
sur cette planète. Il vit sur un putain de péché gros comme son
cul.
- Gamin, tu as vraiment une drôle de
voix. Cela me fait penser aux chants des vivioles quand le soleil est
haut et que les jeunes filles se mettent nues dans la rivière –
deux trois larbins se marrent et je comprends que c'est un tacle
barbare.
- Gros con.
- Votre altesse, ce que mon ami essaye
de dire, c'est que nous ne faisons pas partie de cet organisme...
- N'essayez pas de nous manipuler,
jeune fille. Nous ne sommes pas des faibles d'esprits comme on peut
en voir ailleurs. Nous avons peut-être l'apparence des Valmériens
mais ne faites pas l'erreur de nous confondre avec eux. Nous avons un
but, des croyances, nos Déesses nous protègent.
- Mais..., Mil a baissé la tête,
honteuse, excusez-moi, votre altesse. Mais je disais vrai, ma
tentative était une manière d'expliquer sans mot, mais vous devez
me croire, nous n'appartenons par à l'Ordre.
- Vous êtes des êtres venus de loin,
comme ceux luttant sous la bannière de « l 'Ordre »,
j'ai du mal à vous croire.
- Oui mais nous sommes ici car nous
voulons arrêter ces gens.
- Ça sert à rien, Mil. Ils sont
putain de bornés.
- Votre altesse ! Vous devez...
- Même si vous dîtes la vérité,
comme je vous le disais votre orientation politique ne nous intéresse
pas. Les gens venus de loin ne nous ont jamais apporté de bonnes
choses. Lors de notre première rencontre avec l'Ordre, ils avaient
aussi un beau discours. Nous avons eu une grande discussion avec les
trente rois du peuple, il y a eu une grande fête et les grottes de
Varh leurs ont été données. Depuis que nous savons ce qu'ils font
là-bas, c'est une guerre ouverte. Trop d'âmes ont rejoins le Ghij.
Nous ne voulons plus de ça... Vous serez offerts à la Déesse du
sud.
- Votre altesse ! Laissez-nous
partir et il n'y aura plus de confrontation avec l'Ordre, nous vous
le promettons.
- C'est une belle promesse mais je
n'arrive pas à vous croire.
- Regardez, nous sommes venus sans
technologie. Notre mission est en accord avec la volonté de vos
Déesses.
- Vous pensez connaître leur
volonté ?, le gars se marre en tirant sur sa pipe.
- Pourquoi ne pas lui demander ?
- Votre ami a un traducteur, le péché
est en vous...
- Il ne demande qu'à ce qu'on lui
enlève ! », je tire un peu la gueule et me roule un
second joint. Le gars sait donc où se trouve l'Ordre... Putain si
j'avais eu mon flingue... J'aurais fait le ménage ici et on serait
déjà en route vers ces grottes. Mil donne tout ce qu'elle a mais
j'ai l'impression que le gros tas a déjà pris sa décision. On va
finir chez sa « Déesse », j'imagine que c'est un putain
de volcan ou un truc comme ça. Putains de sauvages... Passent leur
temps à vénérer l'orage au lieu de s'acheter un parapluie :
« Nous pouvons en effet désactiver son traducteur. Enfin...
Notre Déesse le peut.
- Parfait ! Votre altesse, nous
vous supplions de mettre notre sort entre les mains de la Déesse.
Notre volonté est pure ! Croyez-le.
- Très bien, vous serez accompagnés
au sanctuaire dès demain. Au fait, ton herbe me plaît beaucoup,
gamin ! Donne-moi donc ce que tu as sur toi.
- Quoi ! Mais c'est du vol !
Dis lui que je lui donnerai rien du tout.
- Sal, donne-lui !
- Mais ça lui fait aucun effet,
bordel ! Non, non. Je te donnerai rien, gros con !
- Allons, donne-moi, donne-moi.
- Non ! », deux lézards
m'attrapent et me vident les poches, ils donnent mon briquet, mes
feuilles et ma weed à Gareth : « Encore un objet du
péché ! Détruisez ça, dit-il en balançant mon feu au sol.
Alors vous tenez beaucoup à ces plantes, gamin ? Je ne suis pas
un mauvais roi. Gardez donc ça. », il me tend une infime
partie, de quoi me rouler deux ou trois joints.... Putain, ça ne lui
fait aucun effet, bordel. Je dis à Mil de lui demander mes feuilles
mais elle refuse. Je commence donc à mimer le roulage d'un joint à
Gareth et ce dernier claque des doigts tandis qu’un larbin
m'apporte une belle pipe en bois. Elle n'est pas aussi finement
sculptée que celle du gros tas mais a quand même une sacrée
gueule : « Je ne suis pas un mauvais roi ! »,
on nous pose au fond de la salle avec une chaîne à la cheville :
« Ils vont nous laisser dans la salle royale ?
- Apparemment, répond la gsène.
- Classe. », nous sommes dans un
coin sombre, à l'écart des torches, Gareth, que l'on voit encore
bien, a rechargé sa pipe en weed et tripote les lézardes assises à
côté de lui. Ma pipe est elle aussi pleine mais je n'ai rien pour
l'allumer. Je fais des signes et essaye d'appeler un des servants
mais personne ne répond. J'abandonne et pose le cadeau à mes
pieds : « Alors, Mil... On fait quoi ?
- Je croyais que tu allais nous trouver
une idée.
- Ben, t'as l'air d'avoir pris les
choses en main donc... J'sais pas.
- Je suis pour qu'on fasse ce que
Gareth a dit. Nous rejoignons leur Déesse et nous voyons ce qu'elle
pense de notre situation.
- Mouais... J'ai comme le pressentiment
que cette « Déesse » va être un gros bidule dangereux
qui murmure seulement aux oreilles du gros tas.
- Comment ça ?
- Un truc bidon, genre un ravin ou un
volcan. Gareth va poser une question dans les airs puis va dire que
la Déesse lui a répondu et qu'elle nous kiffe pas.
- Une fausse Déesse ? Je ne pense
pas.
- On verra... ». Je vois un
lézard passer devant nous avec un bidule accroché sur ses épaules,
c'est un objet d'origine végétale, on reconnaît un tronc sculpté,
des feuilles étrangement durcies et une sève composant un disque
très fin. Soudain, il se met à tabasser le truc et tout prend
sens : une rythmique, quelques harmonies, putain ! De la
musique ! Mil ne bouge pas, toujours imperméable aux sonorités
mathématiques. Les lézardes commencent à se trémousser et Gareth
tape dans ses mains : « T'entends ça Mil ?
- Pardon ?
- La musique !
- Oh, je n'aime pas trop ça.
- Ah... Tu...
- C'est propre à notre façon de
communiquer. Tu entends ma voix mais... Elle n'est pas réelle. Les
sons n'ont aucune consistance, nous créons des idées, nous ne
sommes pas dépendant de la matière.
- Ouais... Enfin, tu... Bon tant
pis. », la nuit continue sur des centaines de rythmes
différents et je finis par réussir à faire allumer ma pipe. Mil
s'est endormie et je profite du spectacle. Quand le soleil revient à
l'assaut du village, Gareth fait signe aux gars de se calmer et
annonce qu'il part questionner la Déesse du sud. On est rapidement
placé au centre de l'expédition, derrière nous Gareth porté sur
une chaise royale est accompagné de cinq lézards ; devant, une
dizaine de membres de la garde. On part du centre du village et nous
échappons par un des axes, la rosée matinale a dû éteindre les
torches. Je vois quelques enfants courir, ils doivent être très
jeunes car mon traducteur ne marche pas sur la voix plaintive d'un
des gamins voulant récupérer un bâton que deux autres lui ont
volé. Ils doivent m'arriver à l'épaule, Goeffer n'était quand
même pas aussi jeune... Ça me rassure un peu, pas autant que si
Gareth avait accepté de nous libérer mais quand même. On part donc
sous les regards d'un village intrigué, certains balancent des
insultes mais Gareth les fait taire d'un seul geste de la main. Je me
demande ce que Paco est en train de foutre, c'est une chance qu'il ne
soit pas venu avec nous, il n'aurait jamais accepté d'être traité
comme une proie et pourtant c'est ce qu'il aurait été face à ces
lézards sauvages. Il aurait certainement été tué. Enfin bon, ce
n'est pas le moment de penser à ça, il faut trouver une idée pour
nous sortir de là, ça sent mauvais pour notre cul et cette histoire
de Déesse me laisse de gros doutes quant à nos chances d'en sortir
vivant. Mil ne bronche pas, son cul se balance de droite à gauche et
je salive comme si je contemplais mon dernier repas. Je demande à ce
qu'on rallume ma pipe et ça fait marrer Gareth qui accède à ma
requête : « Vraiment fameuse cette herbe, gamin !
- Ouais... », la jungle est très
belle avec cette lumière matinale qui rappelle le rose du village.
Je vois quelques bestioles passer au-dessus de nous, certainement des
sortes d'oiseaux... Malheureusement, aucun des trucs ne reste assez
longtemps dans mon champ de vision pour que je puisse le détailler.
Quelques fois, un des lézards s'éloigne du groupe et ramène des
boules de poils à Gareth qui ne tarde pas à les avaler. Le sang
séché sur les écailles se trouve recouvert d'une nouvelle couche,
Gareth s'éclate : « Quand vous verrez notre Déesse, vous
devrez vous mettre à genoux et ne prononcer aucune parole. Elle vous
parlera chacun votre tour, personnellement. Personne n'entendra ce
qu'elle vous dira. Elle n'aura besoin d'aucune explication... Elle
sait. Il n'est pas possible d'échapper à sa vérité. Soyez prêts
et estimez-vous heureux de pouvoir rencontrer une telle merveille.
- Oui, votre altesse, répond Mil. »,
quelle soumise... Ma pipe grille bien, c'est vraiment un chouette
truc : « Dis au gros tas que je kiffe bien sa pipe.
- Mon ami vous remercie pour votre
cadeau.
- Ah ! Le gamin sait sourire ! »,
il me salue avec son foyer fumant et je lui rends la politesse avec
une courbette farfelue. Je suis bien défoncé, ça fait plaisir de
marcher comme ça le matin. Si j'avais eu ma canne musicale, j'aurais
certainement chanté une balade en l'honneur du roi. Personne
n'aurait compris l'ironie mais... Je me serais bien marré. Je tente
quand même une petite chanson : « Gareth, Ô mon bon gros
con !
Tu es beau, tu es grand mais...
Qu'est-ce que t'es con !
Ta pipe déchire, tu m'as volé ma
weed...
Pas grave ! J'suis défoncé ! »,
Gareth tape dans ses mains : « Le chant des vivioles, je
vous disais ! Encore, encore !
- Ô Gareth !
Ô mon bon vieux con !
Continue de bouffer, continue de fumer
Je t'en prie mon bon vieux con !
Tu me fais bien marrer, tellement
qu't'es un pédé.
Avec tes lampes roses et ta bite molle
Ô Gareth, sacrée tafiole ! »,
la chanson continue et ne sonne pas toujours juste mais je me fais
rapidement suivre par quelques percussions improvisées par les
griffes royales. Après avoir signifié ma fatigue je demande un peu
de weed à Gareth qui accepte sans avoir besoin de traduction :
« Je ne suis pas un mauvais roi, prends donc pour ta belle
mélodie ! », il me file un peu plus que la dernière fois
ce qui me permet de tenir pendant le voyage. Quand les lézards
s'arrêtent et font descendre le roi de son trône, je comprends que
nous sommes tout à côté : « Nous allons y aller tous
les quatre avec Bazil qui s'assurera de votre bonne conduite, il
désigne un des reptiles qui s'avance immédiatement, comme je vous
l'ai déjà dit, n'ouvrez pas la bouche face à la Déesse,
laissez-moi vous présenter et mettez-vous à genoux quand j'aurai
terminé. Compris ? », on avance pour découvrir une
beauté architecturale : une vingtaine de tours arrondies
jaillissent d'une structure octogonale truffée de détails. Tout est
fait de la même étrange matière : une sève bleutée laissant
passer la lumière. L'édifice a été sculpté dans son intégralité,
il y a quelques statues mais majoritairement des bas-reliefs que je
n'ai pas le temps de détailler. Au sol, une dalle épaisse de
plusieurs mètres soutient le bordel. Un escalier creusé au travers
mène à l'immense entrée triangulaire. Bazil nous fait avancer et
nous entrons dans le bâtiment. Sous nos pieds le plancher
transparent laisse deviner une terre beige et quelques curieux
ossements. Au fond, une unique et gigantesque plante.
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